Porter un vêtement, c'est d'abord l'apprivoiser, le laisser respirer, lui accorder tout mouvement jusqu'à ce qu'il épouse votre corps sans l'étouffer. C'est une danse permanente avec le matériau, et pas n'importe lequel : la soie que Sophie Hong métamorphose en un ballet de couleurs naturelles. Son secret ! Le temps.
Son exposition à La Piscine de Roubaix, interrompue pour cause de COVID 19, fut, en ce qui me concerne, une révélation de ce qu'est l'harmonie dans le port d'un vêtement. Les créations de Sophie Hong, styliste aux antipodes du prêt-à-porter de la haute couture labellisée, oscillent entre la nature et la lumière des éléments. Elle s'y soumet après avoir choisi un fil de soie la plus pure utilisée depuis la dynastie des Ming et la prépare en appliquant sur toute la surface de façon égale de la teinture ocre extraite du gambier, plante grimpante des régions tropicales d'Asie du sud-est. Une fois trempés dans une trentaine de décoctions de pigments, les rouleaux de tissu étalés sur des champs de terre glaise riche en fer sèchent au soleil d'avril à septembre. Processus durant lequel le végétal, le minéral, le soleil et la lune deviennent ses principaux alliés. Nous sommes loin de l'agitation frénétique de la mode et des grands créateurs.
Chez Sophie Hong, le temps a le premier rôle. C'est dans la macération, fruit d'une longue patience, qu'elle puise la singularité de ses couleurs moirées d'où se dégage une palette infinie de reflets. Une impression aérienne donnant au matériau toute sa légèreté. Les drapés, les froissés, les pliures, les nervures sont orchestrés dans la pure tradition d'un savoir-faire presque oublié. Nous sommes dans des bleus profonds, des terres de Sienne brûlée, des ocres roux, des verts lagons…l'enchantement des nuances. Comment ne pas ressentir dans ses créations comme un murmure que l'on porte telle une légère brise ! D'ordinaire, une soie de grande qualité flotte lorsqu'elle vous habille. Avec Sophie Hong, elle respire et devient souffle. Le corps se libère.
Ce bout de femme perchée sur des socques (sandales à semelles de bois) ne cherche pas à développer une logorrhée sur un processus de création avant tout introspectif. La patine de ses étoffes est une longue réflexion sur le mariage entre l'Orient et l'Occident, entre la France et Taïwan. Une démarche qu'elle entretient depuis une bonne vingtaine d'années mariant la tradition, le classicisme et la contemporanéité. La pluralité de ses activités englobe aussi le design, la céramique, les bijoux, la peinture, la littérature (elle dirige une librairie de littérature française Le Pigeonnier à Tapei) et son théâtre de marionnettes, symbole de la culture taïwanaise, la plupart d'entre elles étant à son effigie. Un égo plus que justifié tant est que la grâce et l'élégance de ses vêtements offrent une réelle note d'originalité dans ce monde de la mode se voulant transgressive mais n'étant souvent que prévisible.